par Tening Cissé, Responsable financements et partenariats, adansonia.green
Lors du dernier cycle de négociations sur la pollution plastique, l’INC-5.2, tenu à Genève en août 2025, la prise de décision par consensus, une règle qui non seulement symbolise l’unité mais impose l’unanimité , s’est une fois de plus avérée être un obstacle au progrès. Sans surprise, un groupe restreint de pays producteurs de pétrole et de plastique a bloqué l’adoption de mesures substantielles dans le traité mondial sur les plastiques, laissant le monde attendre, une fois de plus, les actions urgentes nécessaires pour faire face à la crise de la pollution plastique.
Le consensus devient un droit de veto lorsqu’il est interprété comme une obligation d’unanimité. Autrement dit, lorsqu’un seul pays, y compris ceux qui bénéficient des industries que nous devons transformer, peut bloquer les avancées collectives nécessaires. Un seul État peut ainsi empêcher une décision, même si la majorité est prête à agir. Dans le cadre du traité mondial sur les plastiques, certains États exigent que toutes les décisions, même les plus substantielles, soient prises par consensus. Résultat : les règles de procédure paralysent le processus et les obligations clés du traité restent dans l’incertitude.
Si rien ne change, des sessions supplémentaires, INC-5.3, INC-5.4, etc., ou une voie alternative, pourraient devenir nécessaires pour avancer, à condition que le mécanisme de vote majoritaire prévu dans les règles de procédure soit enfin activé. Le moment d’agir, c’est maintenant!
Depuis l’INC-2, une coalition de pays producteurs de pétrole et de plastique bloque systématiquement les propositions les plus ambitieuses pour en finir avec la pollution plastique, notamment : des mesures globales visant à réduire la production de plastique à la source, un mécanisme solide et dédié pour les moyens de mise en œuvre, ainsi que l’élimination des produits plastiques les plus problématiques ou dangereux, y compris ceux contenant des substances chimiques préoccupantes. Leur stratégie repose sur un attachement obstiné au consensus. Pourtant, les articles 37 et 38 du projet de règlement intérieur, négociés et acceptés, indiquent clairement que si le consensus échoue, les décisions peuvent être prises par un vote à la majorité des deux tiers. Ces dispositions légitimes et convenues sont ignorées, conférant un pouvoir disproportionné à une minorité bruyante et créant un dangereux précédent dans les négociations environnementales internationales à rebours de tout ce que représente le multilatéralisme !

Les tactiques d’obstruction vont bien au-delà du simple refus de voter : contestations du quorum, vérifications excessives des accréditations, motions dilatoires c’est à dire des manœuvres procédurales destinées uniquement à retarder ou bloquer le processus et renvoient souvent à des questions juridiques déjà tranchées. Ces manœuvres ralentissent les débats, épuisent les petites délégations et empêchent l’adoption de textes ambitieux, pourtant indispensables pour mettre fin à la pollution plastique sur l’ensemble de son cycle de vie. Ce scénario rappelle les blocages historiques d’autres conventions environnementales, où l’insistance sur le consensus a paralysé les décisions pendant des décennies. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en est un exemple particulièrement frappant : une dépendance excessive au consensus nuit gravement à l’efficacité des traités.
Les conséquences de ce jeu de pouvoir sont ressenties quotidiennement par ceux qui sont les plus vulnérables et les plus touchés par la pollution plastique. Au Sénégal, la pollution plastique constitue une crise environnementale, sanitaire et économique urgente. Les communautés locales, les femmes, les jeunes et les pêcheurs sont les premiers affectés, mais leurs voix restent marginalisées dans les négociations. Le Sénégal fait partie des pays de la région qui se sont montrés clairs sur les questions procédurales et soutient fermement le vote majoritaire lorsque le consensus ne peut être atteint. Dakar souligne que l’unanimité accorde un droit de veto à une petite minorité et bloque les avancées sur des sujets urgents. Le Sénégal insiste pour que les articles 37 et 38, qui permettent la prise de décision à la majorité des deux tiers en l’absence de consensus, soient respectés. En défendant le vote majoritaire, le Sénégal veille à ce que les négociations reflètent la position majoritaire, permettent des engagements ambitieux et contraignants, et empêchent que les voix du Sud global soient reléguées au second plan. Comme l’a déclaré le représentant sénégalais Cheikh Ndiaye Sylla lors de l’INC-2 : « le consensus tue la démocratie ».

Le cycle de vie du plastique, de l’extraction à l’élimination, est une source majeure de pollution et d’injustice. Composé à 99 % de combustibles fossiles, le plastique émet des gaz à effet de serre et libère des substances toxiques. Sa dégradation produit des microplastiques qui contaminent les sols, les eaux et les chaînes alimentaires. Les additifs tels que le BPA, les phtalates ou les retardateurs de flamme sont liés à des cancers, des troubles hormonaux et neurologiques, ainsi qu’à des atteintes au développement. Les communautés africaines en première ligne, à South Durban, Odimodi et Kabale, subissent déjà ces impacts : maladies respiratoires, contamination des sols et des eaux, déplacements forcés.
Lors de la dernière session à Genève, la société civile a envoyé un message clair : réparez le processus, tenez votre promesse, mettez fin à la pollution plastique. Les récupérateurs et récupératrices de déchets, les scientifiques, les jeunes, les femmes et les ONG ont appelé les négociateurs à faire preuve de courage et à activer le vote majoritaire lorsque le consensus est impossible. Un traité fort, soutenu par la majorité, vaut mieux qu’un traité faible dicté par une minorité. La crédibilité du multilatéralisme et l’avenir de la planète sont en jeu.
Les priorités du traité sont claires : réduire la production de plastique à la source, éliminer les substances toxiques, garantir la transparence et la traçabilité tout au long du cycle de vie, mettre en place des règles mondiales contraignantes, assurer un financement stable et prévisible, et soutenir une transition juste pour les communautés affectées. Ces éléments ne sont pas négociables : ils déterminent l’efficacité, l’équité et la durabilité du traité.

Il est temps d’oser. Oser activer les mécanismes de vote déjà existants. Oser reconnaître que l’ambition ne peut être sacrifiée au nom d’un consensus paralysant. Oser débloquer un multilatéralisme qui fonctionne. Oser défendre un traité qui protège les populations et la planète. Sans réduction de la production de plastique ni financement dédié, le traité serait une coquille vide. En dépassant l’impasse du consensus, la communauté internationale pourra enfin adopter un instrument à la hauteur de l’urgence écologique; un traité dont les peuples du monde, en particulier ceux du Sud global, pourront être fiers.

À l’heure où les ministres de l’Environnement et d’autres dirigeants mondiaux se réunissent à l’UNEA-7, la septième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement, du 8 au 12 décembre 2025 à Nairobi, au Kenya, sur le thème « Promouvoir des solutions durables pour une planète résiliente », il est essentiel de leur rappeler que la crise de la pollution plastique continue de menacer notre santé et celle de notre planète. On ne peut parler de résilience planétaire sans traiter la crise croissante de la pollution plastique, l’un des facteurs majeurs de la crise planétaire actuelle.
Les solutions durables pour une planète résiliente doivent s’appuyer sur une approche fondée sur la science et centrée sur les droits humains, tout en visant une transition juste et la justice environnementale. Ce sont des éléments fondamentaux pour garantir que les solutions durables placent les intérêts des populations et de la planète au cœur des décisions.
Les pays doivent continuer à appeler à l’urgence de mettre en place un instrument mondial capable de réguler les plastiques, un instrument qui puisse nous sauver, nous et la planète, de la pollution plastique. Ils doivent s’appuyer sur l’élan qui a permis l’adoption de la Résolution 5/14 lors de l’UNEA 5.2 et créer une fois pour toutes un traité efficace sur les plastiques.

Le monde attend encore un traité ambitieux qui traite l’ensemble du cycle de vie des plastiques et protège la santé humaine et l’environnement !
FIN.
